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La ballade des deux aïeux (1934)

Une ode à la réconciliation du poète Nicolas Guillèn

"La balade des deux aïeux" (Balada de los dos abuelos) est un poème composé en 1934 par Nicolas Guillén et faisant partie de la collection de poèmes West Indies Ltd parue la même année.
 

 

BALADA DE LOS DOS ABUELOS

 

Sombras que sólo yo veo,
me escoltan mis dos abuelos.
Lanza con punta de hueso,
tambor de cuero y madera:
mi abuelo negro.
Gorguera en el cuello ancho,
gris armadura guerrera:
mi abuelo blanco.

Africa de selvas húmedas
y de gordos gongos sordos...
- ¡Me muero!
(Dice mi abuelo negro.)
Aguaprieta de caimanes,
verdes mañanas de cocos...
- ¡Me canso!
(Dice mi abuelo blanco.)
Oh velas de amargo viento,
galeón ardiendo en oro...
- ¡Me muero!
(Dice mi abuelo negro.)
¡Oh costas de cuello virgen
engañadas de abalorios...!
- ¡Me canso!
(Dice mi abuelo blanco.)

¡Oh puro sol repujado,
preso en el aro del trópico;
oh luna redonda y limpia
sobre el sueño de los monos!

¡Qué de barcos, qué de barcos!
¡Qué de negros, qué de negros!
¡Qué largo fulgor de cañas!
¡Qué látigo el del negrero!

Piedra de llanto y de sangre,
venas y ojos entreabiertos,
y madrugadas vacías,
y atardeceres de ingenio,
y una gran voz, fuerte voz,
despedazando el silencio.
¡Qué de barcos, qué de barcos,
qué de negros!

Sombras que sólo yo veo,
me escoltan mis dos abuelos.

Don Federico me grita
y Taita Facundo calla;
los dos en la noche sueñan
y andan, andan.
Yo los junto.

- ¡Federico!

¡Facundo! Los dos se abrazan.
Los dos suspiran. Los dos
las fuertes cabezas alzan;
los dos del mismo tamaño,
bajo las estrellas altas;
los dos del mismo tamaño,
ansia negra y ansia blanca,
los dos del mismo tamaño,
gritan, sueñan, lloran, cantan.
Sueñan, lloran, cantan.
Lloran, cantan.
¡Cantan!

 

BALLADE DES DEUX AÏEUX

 

Ombres que je suis seul à voir,
mes deux aïeux me font escorte.
Une lance à la pointe d'os,
un tambour de cuir et de bois:
mon aïeul noir.
Un gorgerin sur un cou large,
une grise armure guerrière:
mon aïeul blanc.

L'Afrique des forêts humides
et des gongos épais et sourds...
- je me meurs !
(Dit mon aïeul noir.)
Une eau trouble de caïmans,
de verts matins de cocotiers...
- Je suis las !
(Dit mon aïeul blanc.)
O voiles qu'enfle un vent amer,
ô galion qui brûle sous l'or...
- Je me meurs !
(Dit mon aïeul noir.)
O rives au cou virginal
que trompent les colifichets...
- Je suis las !
(Dit mon aïeul blanc.)

O soleil au beau repoussé,
pris dans le cercle du tropique;
ô lune ronde, lune pure
éclairant le sommeil des singes !

Que de bateaux, que de bateaux !
Et que de nègres, que de nègres !
Quel long éclat de canne à sucre !
Quel fouet, celui du négrier !

Une pierre de plan, de sang,
des veines, des yeux entreouverts,
des aubes creuses,
des soirs d'usine,
et une grande et forte voix
qui vient lacérer le silence.
Que de bateaux, que de bateaux,
et que de nègres !

Ombres que je suis seul à voir,
mes deux aïeux me font escorte.

Don Federico m'interpelle,
Taïta Facundo se tait;
tous les deux rêvent dans la nuit,
et marchent, marchent.
Je les rassemble.

- Federico !

Facundo! Tous les deux s'embrassent.
Tous les deux soupirent. Tous deux
redressent leurs deux grosses têtes;
tous les deux de la même taille,
sous les hautes constellations:
tous les deux de la même taille,
angoisse noire, angoisse blanche,
tous les deux de la même taille,
criant, rêvant, pleurant, chantant.
Rêvant, pleurant, chantant.
Pleurant, chantant.
Chantant !

 

Cette ballade est celle, symbolique, des aïeux de Guillén et de tous les métisses de Cuba ; on peut donc la considérer comme la ballade des aïeux de la nation cubaine dans son ensemble.
Il narre, du point de vue du petit-fils accompagné de ses deux grands-pères, la découverte de ses racines. L'un de ses grands-pères est noir issu de l'Afrique esclavagisée (Taïta Facundo), l'autre est blanc venant de l'Espagne colonisatrice (Don Federico), ce qui constitue pour le petit-fils une richesse culturelle mais également une triste histoire de l'oppression coloniale. Richesse qui, réunie en lui, le conduit a réconcilier les deux aïeux pourtant en opposition au début du poème, dépassant leur cris, leurs rêves et leurs pleurs.

 

Nicolás Guillén est un poète cubain né le 10 Juillet 1902 à Camagüey (Cuba), et décédé le 17 Juillet 1989. Il a commencé à publier sa poésie en 1920, travaillant pour Camagüey Gráfico y Orto, de Manzanillo. En 1922, il a commencé des études de Droit à l'Université de La Havane, mais a rapidement abandonné ses études. Il a organisé et dirigé la revue Lys, et a été rédacteur pour le journal El Camagueyano.
Parmi ses ?uvres les plus connues on peut citer : Motivos de son (1930), Sóngoro cosongo. Poemas mulatos (1931), West Indies Ltd. (1934), Cantos para soldados y sones para turistas (1937), El son entero (1947), La paloma de vuelo popular (1958), Poema en cuatro angustias y una esperanza (1937), Tengo (1964), Poemas de amor (1964).

 

source : genius.com, youtube

11 Mai 2017